Israël contre l’Iran : une frappe pour le chaos, une riposte pour l’équilibre
Au delà des émotions provoquées que cache la stratégie israélienne en Iran et comment Téhéran fait avec?
La confrontation militaire du 12 au 13 juin 2025 entre Israël et la République islamique d’Iran marque un tournant critique dans la trajectoire des rivalités stratégiques au Moyen-Orient. Derrière l’apparente réussite tactique israélienne se dissimule une opération aux objectifs plus complexes et les possibles prémices d’un échec : non seulement dissuader l’Iran sur le plan nucléaire, mais surtout provoquer une réaction susceptible d’ouvrir la voie à une intervention militaire occidentale, voir enfin provoquer la chute du régime des Mollahs. Face à cette offensive sans précédent, la réponse iranienne s’est distinguée par une retenue calibrée et une efficacité stratégique, révélant une compréhension fine des dynamiques d’escalade.
1 La frappe du 12 juin : Choc, effroi et tentative de décapitation
Dans la nuit du 12 au 13 juin 2025, les Forces de défense israéliennes ont déclenché une série de frappes coordonnées, utilisant près de 330 missiles balistiques, répartis en cinq vagues successives. Les vecteurs employés, notamment les missiles Golden Horizon, Silver Sparrow et Air Lora, ont ciblé des sites militaires clés : les centres de commandement à Tabriz, le complexe nucléaire de Natanz, et les infrastructures de commandement stratégique de l’IRGC. Des dizaines d’opérateurs clandestins des forces spéciales israéliennes ont réussi un véritable coup de maitre en assassinant des scientifiques et des haut-gradés de l’armée, créant un choc en Iran.
Parmi les victimes figurent trois piliers de la hiérarchie sécuritaire iranienne : le chef d’état-major Mohammad Bagheri, le commandant des Gardiens de la révolution Hossein Salami, et Gholam Ali Rashid, à la tête du quartier général de Khatam al-Anbiya. Si ces pertes incarnent un revers indéniable pour l’appareil militaire iranien, leur impact structurel reste limité. Une armée contemporaine, organisée en profondeur, dispose de capacités de relève fonctionnelles. La recomposition de l’état-major iranien s’est opérée en moins de 24 heures. En termes doctrinaux, cette faculté d’adaptation souligne la résilience d’un système consolidé, immunisé contre la neutralisation ciblée de son sommet hiérarchique.
2. Destruction du programme nucléaire iranien: une efficacité stratégique remise en question
La communication israélienne a insisté sur la neutralisation de Natanz comme symbole de la réussite opérationnelle. Or, les évaluations indépendantes révèlent que le site est resté fonctionnel. En réalité, Natanz joue un rôle secondaire dans l’architecture nucléaire iranienne : c’est un centre pilote. Sa mise hors service, si elle avait été complète, n’aurait pas remis en cause la poursuite du programme.
À l’inverse, le site de Fordow constitue le véritable cœur stratégique du programme d’enrichissement. Construit à 800 mètres de profondeur sous une formation granitique, Fordow est hors de portée des munitions conventionnelles. Seules deux options théoriques permettraient sa destruction : l’emploi d’une arme nucléaire tactique ou le recours à une GBU-57 Massive Ordnance Penetrator. Israël ne disposant pas de la seconde capacité et incapable de justifier l’utilisation de l’arme atomique, toute tentative de neutralisation exigerait une implication directe des États-Unis.
Cette impasse opérationnelle suggère que l’objectif n’était pas tant la neutralisation des capacités iraniennes que la création d’un casus belli suffisamment fort pour provoquer une escalade internationale. Une situation de choc, d’effroi et de désorganisation au sein de l’Artesh (armée iranienne) et de l’IRGC (corps des Gardiens de la Révolution Islamique) qui aurait poussé l’Iran à procéder à une réponse disproportionnée justifiant le pire.
3. La stratégie israélienne : instrumentaliser l’Iran pour internationaliser le conflit
La frappe israélienne peut être interprétée comme une manœuvre d’induction stratégique. En incitant l’Iran à réagir de manière disproportionnée, notamment contre des bases américaines (Al-Udeid au Qatar, Diego Garcia…), Jérusalem espère catalyser une intervention occidentale directe. Ce mécanisme s’apparente à une stratégie de "cascade délibérée", dont le but est de briser l’isolement tactique d’Israël.
L’opération relève davantage d’une guerre psychologique et d’un pari diplomatique que d’un succès militaire durable. La pression israélienne repose sur une évaluation des seuils de tolérance américains, combinée à une tentative de reconfiguration du rapport de forces régional.
4. Riposte iranienne : doctrine de la proportionnalité maîtrisée
La réponse iranienne, à contre-courant des attentes israéliennes, s’est distinguée par une précision calculée. En réplique à la décapitation de son état-major, l’Iran a visé le ministère de la Défense israélien. Suite aux frappes sur ses infrastructures pétrochimiques, il a riposté par une attaque sur le port de Haïfa. La destruction par Israël de la Malek Ashtar Industrial University a trouvé un écho le lendemain avec le bombardement di Wiezmann Institute of Science à Rehevot. Symétrie parfaite et proportionnalité sauvegardée.
Chaque action répond à une logique de symétrie : maintenir la crédibilité dissuasive sans provoquer une guerre totale. Ce choix stratégique traduit une maturité opérationnelle fondée sur la préservation des alliances et l’évitement d’un engrenage incontrôlé. Dans les faits, l’Iran refuse le piège israélien. Il construit une narration stratégique où sa retenue devient un levier diplomatique. Car à Téhéran on prépare déjà l’après-guerre.
5. Trois hypothèses d’évolution du conflit
Escalade ouverte
Israël attaque Fordow ou d’autres infrastructures stratégiques. L’Iran réagit en visant des intérêts américains ou décide de bombarder Dimona. L’engrenage s’enclenche. La région bascule dans une guerre étendue, voir dans le conflit nucléaire avec de lourdes conséquences économiques et énergétiques pour la planète.
Stabilisation tactique et poursuite clandestine
Une cessation des hostilités s’impose sous pression internationale. L’Iran poursuit son programme nucléaire en profondeur, à l’abri des regards. Des négociations indirectes émergent, notamment par l’entremise d’Oman ou du Qatar.
Guerre hybride prolongée
Les hostilités se transforment en affrontement indirect : drones, cyberattaques, sabotages. La guerre devient multidimensionnelle, avec des fronts diffus et une intensité variable.
Au final l’attaque israélienne de juin 2025 constitue un moment critique d’expérimentation stratégique. Si elle a atteint des objectifs tactiques limités, elle échoue à provoquer la rupture systémique recherchée. L’Iran, en répondant avec mesure, conserve l’initiative politique et protège ses capacités essentielles.
En définitive, cette confrontation illustre les limites de la coercition militaire dans un environnement post-nucléaire. Le véritable enjeu reste la construction ou la désintégration du consensus stratégique régional. Tant que Fordow restera intact et que Washington refusera l’escalade, le programme iranien poursuivra sa trajectoire, à la croisée de la résilience technologique et de la diplomatie de crise. Il restera à surveiller les indicateurs suivants :
1. Évolution de la posture américaine : déploiement ou repli tactique dans le Golfe.
2. Rétablissement ou rupture des lignes diplomatiques indirectes (Oman, Qatar).
3. Comportement des acteurs non étatiques pro-iraniens : Hezbollah, milices irakiennes, Houthis.
4. Intensification ou décrue de la guerre de l’information : indicateurs de préparation psychologique à l’escalade.